Décembre 1959

 

DESANM 1959

 

 

Suite à un incident de circulation ayant conduit à une altercation entre un Martiniquais et un Français, non loin de la Savane , des CRS interviennent violemment, lançant des gaz lacrymogènes, dispersant sans ménagement la population présente. Des badauds et des militaires permissionnaires ripostent. Et 3 jours durant, des groupes venus en grande partie des quartiers populaires de Fort-de-France affrontent les CRS puis, une fois ceux-ci consignés au Fort Saint-Louis, les gendarmes et les policiers. Lors de ces émeutes, les forces de l'ordre tuent 3 jeunes martiniquais :

 

•  Edmond Eloi dit Rosile (20 ans), le lundi 21, rue Villaret-Joyeuse, derrière l'Olympia,

 

•  Christian Marajo (15 ans), le lundi 21, rue Ernest Renan appelée maintenant Moreau de Jones, près du Palais de Justice,

 

•  Julien Betzi (19 ans), le mardi 22, au niveau de la Place Stalingrad , actuellement appelée François Mitterrand.

 

Les causes réelles de ces émeutes sont profondes. Cette fin des années 50 s'inscrit, en effet, dans un contexte de mutations socio-économiques avec :

 

•  la restructuration de l'économie sucrière ; 14 usines sucrières en 1949, et 11 en 1959 ; 90 distilleries en 1950, et 33 en 1959,

 

•  un important chômage et un exode massif vers les quartiers populaires de Fort-de-France,

 

•  l'accélération de la mise en place de la départementalisation (loi de mars 1946) qui induit le développement du secteur tertiaire. Les créations d'emplois dans les services et le commerce ne répondent pas à la croissance démographique ; un excédent naturel d'environ 30 ‰, et près de la moitié de la population a moins de 20 ans.

 

•  la multiplication d'incidents racistes, du fait des CRS et des fonctionnaires français qui sévissent dans les administrations. Du fait également de Pieds Noirs venus d'Afrique du Nord.

 

Le dimanche soir (20 décembre), 3 cibles sont principalement visées par les émeutiers : le Fort Saint-Louis où sont casernés les CRS, l'hôtel de l'Europe, siège des anciens d'Afrique du Nord, et divers magasins du centre-ville. Dès le lendemain, les émeutes cessent d'être localisées à la Savane et au centre-ville, alors que les premiers acteurs laissent place à des groupes à forte proportion de jeunes, venus des quartiers populaires de Fort-de-France.

 

Décembre 59, c'est un bilan tragique du colonialisme, sous sa forme départementale. Pourquoi ces jours d'émeutes prennent-ils une symbolique si forte?

 

Surpris, les partis politiques, les syndicats, les organisations maçonniques et religieuses, toutes les forces structurées de la Martinique appellent au calme, à partir du mardi 22. Les combats de rue les obligent au constat de faillite. Faillite économique. Faillite sociale. Faillite d'une société sans réponse à l'angoisse de sa jeunesse. Faillite, dans une bonne mesure, des partis politiques, défenseurs ou adversaires de la départementalisation. Lors d'une session extraordinaire (jeudi 24 décembre), le Conseil Général unanime réclame :

 

•  le retrait immédiat des CRS et des éléments racistes indésirables,

 

•  une série de mesures socio-économiques, comme la réduction des impôts, la création d'une caisse de secours pour les chômeurs, l'extension de la Sécurité Sociale , l'application intégrale des prestations et allocations familiales.

 

•  une évolution statutaire « en vue d'obtenir une plus grande participation à la gestion des affaires martiniquaises », etc….

 

A ces revendications, l'état colonial répond par une volonté répressive :

 

•  Sur le plan politique, une ordonnance scélérate du 15 octobre 1960 qui permet au préfet de muter en France tout fonctionnaire « dont le comportement est de nature à troubler l'ordre public » ; un exceptionnel quadrillage de Fort-de-France par implantation de gendarmeries sur les axes routiers les plus importants ; un plan Némo avec son SMA (Service Militaire Adapté -1960) qui, sous couvert de formation professionnelle, éloigne les soldats martiniquais (en Décembre 59, ils ont sympathisé avec les manifestants).

 

•  Sur le plan économique, l'exil de milliers de jeunes martiniquais, avec un négrier BUMIDOM (Bureau des Migrations des Départements d'Outre-Mer -1963) ; celui-ci gère le flux de main-d'œuvre dont a besoin la métropole, pour certains emplois.

 

•  Sur le plan social : avec le SMA ou le BUMIDOM, l'objectif est de vider le pays de ses forces vives.

 

Décembre 59 constitue une date essentielle de l'histoire de la Martinique  : l'idée de résistance à l'oppression coloniale s'exprime dans la rue, avant de se formaliser, de se structurer. Et du PC autonomiste aux groupes de libération nationale qui apparaissent à partir des années 60, notamment l'OJAM (Organisation de la Jeunesse Anticolonialiste Martiniquaise), chacun se réclame de ces 3 jours, dans une appropriation militante. Désanm 59 c'est un élan nouveau donné à la conscience anticolonialiste, dans un contexte international de décolonisation et d'accession des peuples à l'indépendance.

 

Notre devoir de mémoire nous impose de ne pas oublier, après Mai 1848 et Septembre 1870, Décembre 1959. Sonjé Rosile, Marajo, Betzi, victimes du colonialisme. Honneur aux combattants de Désanm 59 .

 

Collectif Sonjé Désanm 59
(Combat Ouvrier, CSTM, FMPJCR, GRS, MIM, MPRM, MODEMAS, PALIMA, PKLS, UFM)
Décembre 1999